En tant que freelance, l'efficacité est maximum, tout ce qui parasite le travail est évacué

Il y a 8 années


Sébastien Isaia est webdesigner / flasher freelance. Il a accepté de témoigner sur le blog de 404Works pour nous expliquer sa perception du travail en indépendant et son évolution, depuis ses débuts, avant l'explosion de la « bulle Internet ».

Je suis freelance (statut Maison des artistes) depuis 15 ans, installé à Montpellier depuis 2002. Je travaille de manière récurrente pour des agences ou des clients directs à Paris, et ponctuellement en région. Ayant toujours été spécialisé dans l’animation Flash, le gros de mon activité ces dernières années s’est concentré dans le domaine de la publicité en ligne (seul domaine, avec le jeu, où Flash s’est maintenu après 2010 jusqu’au récent décollage de l’animation HTML5).

Jusqu'à 3 ou 4 demandes de devis par jour lors de mes débuts en indépendant

Avant de me lancer en indépendant, j’ai été webmaster durant deux ans au service jeunesse de France 2, mon premier boulot après une formation de concepteur réalisateur multimédia axée sur la création de CD-Rom (avec Macromedia Director) mais où j’avais aussi appris les bases du HTML et surtout découvert la v1 de Flash (à l’époque logiciel Macromedia racheté plus tard par Adobe).

A France 2 où j’étais en charge de concevoir les mini-sites des séries diffusées pour enfants et ados, j’avais la liberté d’expérimenter. J’ai donc pu me former et mettre en pratique Flash qui en était à ses débuts mais qui a explosé très rapidement, grâce à la possibilité qu’il offrait d’animer du graphisme vectoriel (plus léger) a une époque où les débits étaient très réduits.

J’avais plusieurs amis graphistes print inscrits à la Maison des artistes pour lesquels ça marchait bien. Voyant le succès de Flash et les demandes d’animation ou de site qu’on me faisait régulièrement, j’ai commencé à songer à travailler en indépendant. J’ai créé mon premier portfolio en Flash et la demande a rapidement explosé. Il n’était pas rare que je reçoive jusqu’à 3 ou 4 demandes de devis par jour.

Avant la bulle internet de 2002 : une époque bénie

Je me suis donc lancé en indépendant en 2000 dans les conditions idéales, une époque bénie ou le freelancing dans le web en était à ses balbutiements et où on avait le sentiment d’être au début d’une histoire. Tout semblait possible parce que la demande était importante et l’expertise par si large que ça (la communauté Flash en France se résumait probablement à moins d’une centaine de personnes). Cette période d’euphorie n’a eu qu’un temps, on a vite déchanté avec l’explosion de la bulle internet en 2002.

J’ai conscience qu’aujourd’hui, avec le nombre d’écoles sur le marché, l’évolution du web, la concurrence, l’apparition de pratiques lamentables comme le crowdsourcing, etc., démarrer en indépendant doit être une autre paire de manches.

En freelance, une autre forme de hiérarchie s'installe

Le principal attrait, c’est la liberté bien sûr. Mes quelques années en salarié, où j’avais pourtant une assez grande liberté dans le travail, m’ont fait prendre conscience du fait que j’avais beaucoup de mal avec la hiérarchie. Etre son propre patron c’est à priori être libre de faire ses propres choix, mais c’est finalement un peu un mirage aussi, on se rend vite compte qu’on est tributaire du rythme et les délais que vous imposent les commanditaires, et qu’une autre forme de hiérarchie s’instaure qui vous oblige à plier parfois sur le plan artistique, à travailler parfois le week-end. etc.

Mais avec l’expérience, et si on arrive à avoir une activité suffisante pour vivre correctement et sélectionner ses projets, on arrive le plus souvent à mettre en place un échange et faire passer sa manière de faire si on arrive à convaincre que c’est dans l’intérêt du projet.

Et puis en freelance, on a toujours le sentiment que si un jour un projet ne se passe pas aussi bien qu’on souhaiterait (ça m’arrive très rarement je précise), on efface l’ardoise et on passe à autre chose, le projet suivant marquant un nouveau départ, ce qui ne doit pas toujours être possible si on se sent mal avec sa hiérarchie dans un poste en salarié.

La batterie : mon meilleur anti-stress

Je suis musicien depuis l’enfance. Depuis quelques années, c’est la batterie, un vieux rêve que j’avais depuis très longtemps, elle trône à 3 mètres de mon bureau est j’ai réalisé plus tard que je n’aurais jamais pu trouver meilleur anti-stress. Quand un projet commence à m’échauffer les oreilles, dans les moments de standby, je change de siège et je prends mes baguettes. Pas sûr que cette pratique, qui m’équilibre, passerait aussi bien dans une entreprise.

En entreprise, on brasse de l'air !

J’ai toujours pensé qu’en entreprise, sans vouloir généraliser, on brasse énormément d’air et que le ratio temps passé au travail / travail effectif, est fortement déséquilibré. Pour moi travailler en freelance, c’est l’inverse, on travaille avec une efficacité maximum du fait que tout ce qui peut parasiter le travail est évacué. On va à l’essentiel, la justification de son poste c’est le résultat que l'on produit, pas le bruit qu’on fait autour pour monter qu’on est compétent pour être au poste où on est.

Donc moins de réunionite (distance oblige, qui pousse tout commanditaire normalement constitué à faire l’effort de formuler au mieux sa demande) moins de temps perdu (un rapide calcul sur le temps gagné du fait qu’on vit sur son lieu de travail) et donc au final plus de temps pour la vie privée. C’est pour cette même raison que j’évite généralement les missions freelances en régie où on retombe dans les mêmes travers. Au départ ça rassure le client d’avoir quelqu’un sur place qu’il pense pouvoir mieux contrôler, mais au final, il y a énormément de temps perdu.

La communauté freelance souffre d'une absence d'entité officielle pour défendre ses intérêts

A mon sens, la communauté freelance souffre d'un manque de reconnaissance et d’une absence d’entité officielle pour défendre ses intérêts. Le freelancing (et plus généralement le télétravail) a explosé parce que les entreprises ont compris qu’elles avaient tout à y gagner. En cela, il représente selon moi un modèle pour l’avenir et prendra de plus en plus d’ampleur dans les prochaines années.

Conscient de cette évolution, et y voyant sans doute une aubaine pour faire baisser les chiffres du chômage, l’état a créé de nouveaux statuts pour encourager cette pratique et l’étendre à tous les domaines. Tout ça est très bien, mais une fois lancé, un freelance est seul face à ses problèmes (qui sont nombreux), là où le salarié peut obtenir des choses en se syndiquant dans son entreprise où par ailleurs le respect du code du travail est beaucoup plus ancré.

L’état voit donc d’un bon œil les freelances mais semble indifférent aux problèmes qu’ils rencontrent. Quid de l’absence totale de respect de la législation (qui pourtant existe) sur les délais de règlement des factures ? Depuis 2008, certaines entreprises ont profité du prétexte de la crise pour étirer encore plus les délais de paiements et faire leur trésorerie sur le dos des freelances, derniers maillons de la chaîne qui eux n’ont pas de trésorerie et sont parfois forcés de déposer le bilan, ne pouvant plus payer leurs charges à cause de factures non payés au bout de 4 ou 6 mois.

Quid de règles condamnant ou pénalisant la pratique du crowdsourcing. On a vu au contraire des représentants de l’état venir vanter les mérites d’une startup dont l’activité principale reposait sur cette pratique.

Aujourd’hui, les seules voix qui se lèvent sur ces questions viennent d’associations de freelances. Il serait souhaitable qu’un organisme comme la Maison des artistes se sente plus concerné.

Un mot de la fin ou une citation qui vous inspire ?

« il n’est jamais trop tard pour essayer des choses et accomplir ses rêves… » ou quelque chose comme ça. Je ne sais plus de qui c’est, ni même si c’est de quelqu’un, mais en tout cas ça me parait couler de source.

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